Pierre Jourde 12 décembre 2008 « Il ne faut pas désespérer Montfermeil » | L’antisémitisme nouveau est arrivé. Il remporte un certain succès parmi ce que les journalistes appellent, à leur manière pateline, les jeunes des quartiers, c’est-à-dire, en gros, parmi des adolescents issus de l’immigration africaine. Evidemment, le phénomène gêne un peu. Pour le prêt-à-penser de gauche, il était plus facile d’envisager le bon vieil antisémitisme à la Drumont, que l’on pouvait tranquillement imputer au seul Français de souche. Comment ? immigré, victime, et antisémite ? Ça n’existe pas, ce n’est pas possible. Ou alors, il y a des excuses. Cette excuse est toute trouvée : elle s’appelle Israël. Tout va bien : l’antisémitisme n’est plus de l’antisémitisme, c’est de l’antisionisme. Et comme le sionisme, depuis 1975, est assimilé au racisme, être antisioniste, c’est être antiraciste.
Les jeunes d’origine maghrébine ne font après tout qu’exprimer leur solidarité avec les frères palestiniens opprimés. Entre victimes de l’injustice et du néocolonialisme, il faut bien s’entraider. De même, les jeunes gens originaires d’Afrique noire ne s’attaquent aux Juifs que parce que ceux-ci incarnent à leurs yeux l’esclavagisme, selon la pertinente analyse historique de la tribu Ka et de Dieudonné. Merci, bonne fée Israël. Grâce à ta baguette magique, tu transformes une vieille crapulerie raciste en militantisme de damnés de la terre. Que ferions-nous sans toi ? […] Lire l’intégralité de l’article
Pierre Jourde est romancier (« Paradis noir » sortira chez Gallimard en février), essayiste (« Littérature monstre » vient de paraître) critique littéraire (« La littérature sans estomac ») et professeur à l’université de Grenoble III
Le titre : « il ne faut pas désespérer Montfermeil » est déjà une indication de ce que sera la suite de l’article. Ce titre fait appel à la mémoire collective en rappelant « Il ne faut pas désespérer Billancourt. », attribué à Sartre, et est depuis les années 60 comme le symbole de l’hypocrisie d’une certaine gauche préférant cacher les réalités gênantes, et s’en rendant ainsi complice. Je signale donc à Pierre Jourde qu’en se référant à cette formule, il se réfère à un faux, car Sartre n’a jamais prononcé cette phrase, mais seulement un personnage d’une de ses pièces, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Mais Pierre Jourde n’est pas à une approximation près. D’ailleurs tout son texte n’est qu’approximation et amalgame. Qui a dit par exemple qu’ »être immigré, victime, antisémite, ça n’existait pas, ce n’était pas possible », ou bien qu’alors « il y avait des excuses » ? Quelle personne de gauche soutient les explications de la Tribu Ka ou de Dieudonné ? Qui « accorde des circonstances atténuantes à un jeune français d’origine maghrébine qui s’en prend à un Juif ? »
Qu’est ce qui permet à Pierre Jourde d’affirmer que les Africains qui vivent en France rendent responsable Israël de la traite des noirs ? Amalgamer les noirs qui vivent en France avec la tribu Ka, c’est alimenter le racisme.
Toutes les accusations de Pierre Jourde sont des affirmations non étayées sur des faits, des textes, des noms.
Autre poncif du soutien inconditionnel à Israël : les médias se focalisent depuis 60 ans sur ce conflit, mais on a fait tellement pire ailleurs, et notamment les musulmans, qu’on peut se demander pourquoi parler tant de ce conflit ? L’explication de ce traitement particulier du conflit du PO, pour Jourde, c’est plus ou moins explicitement que les médias sont dans le fond antisémites, comme les banlieues.
En terme d’horreur, il existe certes pire que les tueries israéliennes, je l’accorde volontiers à Jourde. Mais je trouve ridicule cette manière de dire à la Presse et à l’opinion « C’est trop injuste de toujours braquer le projecteur sur nous. Détournez le un instant, il y a bien pire ailleurs, et il faut nous laisser faire nos petites horreurs sans trop de lumière. Occupez-vous plutôt des « milices arabes » du Darfour.» (Encore un approximation de Jourde. Ces milices parlent un dialecte arabe, mais ne sont pas plus arabes ni moins noires que celles qu’elles exterminent. Mais Jourde ne fait que reprendre un poncif des médias pas si pro arabes que ça.)
Il y a un peu plus d’un siècle, l’opinion internationale se passionnait pour l’affaire Dreyfus. Allez savoir pourquoi, de Londres à Moscou, de Sydney à New-York, pendant 15 ans des comités contre l’injustice se sont formés dans le monde entier, des boycotts ont été organisés contre la France, et Dreyfus a du sa libération à une menace de boycott sur l’exposition universelle de Paris. En suivant le genre de raisonnement de Jourde, on aurait pu trouver ça très injuste, car évidemment, l’antisémitisme sévissait dans le monde entier, et pourquoi l’opinion se préoccupait-elle du sort d’un seul Juif à Paris en oubliant les pogroms en Russie ? A l’époque, c’était les vieilles ganaches antidreyfusardes et antisémites qui expliquaient la rage de l’opinion par des sentiments anti-français. Pour un nationaliste, c’est toujours la faute des autres. Mais tout Français aurait du se féliciter de cette exigence qu’on avait pour la « patrie des droits de l’homme ». Et ce n’est pas parce qu’il existe pire ailleurs, qu’on peut fuir ses responsabilités.
Jourde termine son article en exhortant ironiquement je ne sais qui, de ne pas dire aux « jeunes des cités » que la réalité israélienne est plus complexe que ce qu’ils s’imaginent. Je suis d’accord avec Jourde qu’il n’est jamais bon de simplifier la réalité. Ainsi la jeunesse vivant dans les cités de banlieues est sans doute plus complexe, plus variée, mieux informée qu’il ne se l’imagine, et tout son article est malfaisant qui assimile les « jeunes des cités » (qu’il n’a jamais vu ailleurs qu’à la télévision, (je prends le pari)) « à ceux d’entre eux qui s’en prennent aux feujs, autrement dit des bêtes incultes, bêtement, traditionnellement anti-sémites ».
Et puisque toute réalité est complexe, j’exhorte Pierre Jourde à « s’interroger sur ses propres insuffisances, » et à se documenter sur la situation des Arabes Israéliens, périodiquement tancés de se préoccuper du sort des Palestiniens, menacés d’être dénationalisés, et depuis toujours discriminés dans le pays où ils sont nés. Israël est certes une démocratie, mais certains y sont beaucoup plus égaux que les autres.
Mais peut-être la complexité des choses n’intéresse-t-elle pas Pierre Jourde. Peut-être ne voulait-il faire que de la propagande.